Hommage à Mathieu Giroud, géographe assassiné au Bataclan
Pour Matthieu
Mardi, 17 Novembre, 2015
L'Humanité
Par
Sylvain Pattieu
Maître de conférences en histoire à l’université
Paris-VIII. Auteur, notamment, de des Impatientes(Éd. du Rouergue)
Tout
le monde l’aimait, Matthieu,
sauf les jaloux. Brillant chercheur, beau
comme un dieu ou un saxophoniste
et généreux en plus de ça. Il
finissait ses phrases ou ses textos en t’appelant “l’ami” et ça peut
sembler désuet
mais chez lui ça sonnait sincère.
Sur le terrain, quand on jouait
au ballon, il était
numéro 10, celui
qui garde son calme, organise le jeu
et passe la
balle à terre. Ça lui allait bien de distribuer, c’était dans son
caractère. Un mec qui apaise. Engagé, dans ses cours, dans ses
recherches,
de la géographie critique, dans les manifs, dans les cours
de soutien
pour les enfants mal-logés.
Mais pas le genre à regarder de
haut,
à se vanter, toujours dans l’écoute, modeste. Une douceur
magnétique.
Il aimait la musique et il est tombé sous les balles des assassins, au Bataclan.
Ils veulent faire monter le racisme
et l’intolérance,
nous dresser les uns contre les autres, athées, laïques, chrétiens,
juifs, musulmans, sunnites et chiites, Français et immigrés.
Ils
veulent des communautés hermétiques, des chocs de civilisation,
des
vengeances impérialistes, la guerre de tous contre tous. Ils s’en sont
pris
à ce qui nous réunit, à la joie, à la danse et aux rires, au
stade, au bar,
au spectacle. Ils ont tué des Noirs,
des Arabes et des
Blancs, des Français et des étrangers, des prolos et
des cadres sup.
Avec Matthieu hélas
ils ont bien choisi leur cible :
un mec ouvert,
intelligent, solidaire avec les réfugiés, contre les inégalités. Pas de
haine chez lui.
Je l’ai vu la veille de ce concert,
il m’a annoncé la
bonne nouvelle,
sa compagne Aurélie enceinte,
une petite sœur pour son
bonhomme de trois ans. Il m’a dit : c’est comme toi, on aura une fille
après avoir
eu un fils. Il était fier et tendre
et plein d’amour.
Sa perte est en nous, pour toujours, tendre tristesse, et
malgré tout la joie des bons moments. Je veux garder
le souvenir des
derniers mots d’amour de Matthieu pour les temps mauvais qui
s’annoncent. À travers le chagrin, l’effroi, la douleur, l’empathie
est
notre remède, notre arme
et notre forteresse.